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Discours de Jean-Benoit Pilet - Hommage à François Bovesse 4 février 2024

La Cérémonie d'hommage à François Bovesse, organisée par le Comité Central de Wallonie, a eu lieu ce 4 février. Cette année est marquée par le souvenir poignant de son assassinat voici 80 ans.
L'assassinat perpétré par des membres du mouvement rexiste, parti d'extrême droite belge, fut un événement tragique et un coup dur pour la résistance belge durant la Seconde Guerre mondiale. Cette commémoration est un rappel essentiel des valeurs pour lesquelles il a lutté et de son engagement en faveur de la justice et de la liberté.
Nous avons eu le privilège d'écouter les brillantes interventions de Jean-Benoit Pilet, professeur et politologue, à propos de la montée de l'extrême-droite et de Annie Delfosse, Vice-Présidente. Un appel pour le paix et le respect mutuel et contre la banalisation de l'extrême-droite.

Découvrez ci-dessous le discours de Jean-Benoit Pilet :

Discours – commémoration François Bovesse

JB Pilet

4 février 2024

2024 marque les 80 ans de l’assassinat de François Bovesse.

Cette journée est un moment de commémoration de son combat politique, et en particulier de sa lutte contre les extrémismes, et l’extrême droite en particulier.

Pourtant, 80 ans après, l’extrême droite semble de retour à des sommets plus atteints depuis les années 1930.

Les signes visibles de ce retour de l’extrême droite sont nombreux.

Un récent rapport du Conseil européen pour les relations internationales a fait le point sur les sondages en vue des élections européennes de juin. Les partis d’extrême droite, s’ils s’unissent au Parlement européen, pourraient devenir la troisième force politique de l’Union. Ces partis arrivent en tête des sondages dans neuf états membres (Autriche, Belgique, Tchéquie, France, Hongrie, Italie, Pays-Bas, Pologne et Slovaquie).

Ces signes visibles ont pris deux tournures encore plus inquiétantes en Allemagne et en Italie les dernières semaines. En Allemagne, la presse a révélé des réunions avec des dirigeants du parti AfD (annoncé à 20% dans les sondages) dans lesquels étaient discutés des plans concrets de renvoi de millions de personnes migrantes installées légalement en Allemagne depuis plusieurs années. En Italie, le 7 janvier, des centaines de militants post-fascistes ont défilé dans les rues de Rome en faisant le salut fasciste.

Ces évènements sont inquiétants mais ils sont la partie visible de l’iceberg. Ils sont les manifestations visibles du retour en force de l’extrême droite en Europe. Il est crucial de les avoir à l’esprit. Mais ils ne sont pas les seuls éléments à prendre en compte dans la lutte contre les extrémismes en Belgique et en Europe en 2024.

Ma discipline, la science politique, compte des centaines de chercheurs travaillant à travers l’Europe sur le retour de l’extrême droite. Et ce que leurs travaux mettent en avant, c’est la lame de fond de changements sous la surface, à bas bruit. Ces évolutions moins visibles marquent une transformation culturelle lente et insidieuse qui témoignent d’un retour de l’extrême droite et de nos idées dans nos sociétés.

Trois évolutions à bas bruit méritent toute notre attention.

La première est la normalisation de l’extrême droite, et surtout de ces idées. En surface, le rejet des acteurs d’extrême droite demeure la norme dans la plupart des médias et dans la plupart des partis politiques. En revanche, les idées développées par l’extrême droite sont graduellement reprises dans les médias et par les autres partis.

Une analyse récente a ainsi montré que, sur les 20 dernières années, les positions des partis politiques sont restées stables sur presque tous les enjeux. Il y a une seule exception : l’immigration. Là, on voit un mouvement net, et c’est celui d’une adhésion croissante aux propositions anti-immigration par les partis de droite et du centre. L’extrême droite n’a pas bougé sur ces questions, mais les autres partis ont convergé vers elle.

Une illustration flagrante est la thèse de l’appel d’air, selon laquelle la générosité des pays européen en matière de droits sociaux et économiques pour les migrants créerait un appel d’air attirant des milliers de nouveaux migrants vers les pays généreux. Cette idée est largement démontrée comme fausse par les travaux sur les trajectoires migratoires des personnes venant d’Afrique ou du Moyen Orient vers l’Europe. Le choix de destination n’est pas lié prioritairement à la protection sociale données aux migrants ou aux conditions d’accès à un permis de travail. Les migrants suivent, d’abord, les routes des passeurs. C’est un choix contraint. Ensuite, ils vont vers les pays où ils ont des connaissances personnelles. Cette idée pourtant fausse, portée par l’extrême droite depuis les années 1980, a contaminé les médias, où elle est fréquemment présentée, et les autres partis. La récente loi visant à limiter l’immigration votée en France incluait de fortes restrictions des droits sociaux pour les migrants. Et ces articles de la loi sont venus des Républicains, par du Rassemblement national.

Un deuxième signe de la montée de l’extrême droite à bas bruit est la polarisation sociale et politique croissante. Nos systèmes politiques sont fondés sur le pluralisme des idées et des intérêts. Les partis politiques et les groupes s’affrontent pour faire leurs idées et pour défendre les intérêts de leurs électeurs, mais cet affrontement se fait entre adversaires qui partagent un socle de valeurs communes et qui appartiennent légitimement à la communauté nationale. Les extrémismes rejettent cette idée. Ils fondent leur discours sur le fait que le pouvoir leur a été confisqué par un groupe illégitime, qui n’appartient pas vraiment à la communauté des citoyens. Les contours de ce groupe peuvent varier, et être basé sur la langue parlée, les convictions philosophiques et religieuses, ou la classe sociale. Et ce groupe est un ennemi, et non un adversaire. Il ne s’agit pas simplement de gagner l’élection mais d’exclure cet ennemi du pouvoir et de façon définitive, car cet ennemi n’a aucune légitimité à prétendre au pouvoir.

A nouveau, les recherches récentes montrent que cette polarisation de la société portée par les extrêmes gagne du terrain au-delà de quelques groupes extrémistes. On le voit, d’abord, dans la rhétorique des élus (surtout sur les réseaux sociaux) qui présentent l’adversaire comme un ennemi illégitime. Mais les récentes enquêtes d’opinion aux USA d’abord, et plus récemment en Europe, montrent que les citoyens rejoignent de plus en plus cette vision polarisée. L’adversaire politique est un groupe perçu comme fondamentalement différent. C’est un adversaire dont je ne partage pas les idées politiques, ce qui est normal en démocratie, mais aussi dont je ressens qu’il ne fait pas vraiment partie de ma société. Ce qui fait que je ne voudrais pas que cet adversaire devienne mon voisin, mon collègue, ou le compagnon ou la compagne d’un de mes enfants. A nouveau, ce danger témoigne d’une diffusion de vision de la société et de la politique portée par les extrêmes, mais qui s’étend bien au-delà des groupes et partis extrémistes.

Enfin, le troisième danger à bas bruit, est l’érosion graduelle de l’attachement aux normes démocratiques. En particulier, des principes comme le respect de l’État de droit, l’indépendance de la justice, ou la liberté d’association sont menacés. A nouveau, beaucoup d’entre nous penseront aux manifestations visibles de cette menace en Hongrie avec Orban ou en Pologne avec le PiS. Mais les menaces vont bien au-delà. En Belgique, même, on a pu entendre certains leaders politiques comme Bart de Wever parlé d’une réforme de l’Etat qui passerait en force, sans respecter les règles constitutionnelles et donc en s’asseyant sur le contrôle que pourrait exercer la Cour constitutionnelle. On peut aussi citer le refus du Gouvernement belge de se conformer aux centaines de décision de justice par rapport aux manquements de l’État belge dans l’accueil des demandeurs d’asile. Ce refus de se conformer aux décisions de justice a mené certains à parler de « gouvernement des juges ». Au-delà de ces débats politiques, ce qui doit nous inquiéter vient d’études menées auprès d’échantillons représentatifs de citoyens en Belgique et dans d’autres pays européens. Il en ressort qu’une majorité de citoyens sont prêts à accepter qu’un dirigeant mette en œuvre une décision qui aurait été invalidée par le pouvoir judiciaire, tant que c’est pour prendre une décision qui est appréciée par le citoyen. De façon encore plus inquiétante, plus d’un tiers des personnes interrogées sont prêtes à accepter que leur parti préféré modifie les règles électorales et les règles d’accès aux médias si cela peut aider leur parti à gagner l’élection. Bref, le respect des normes démocratiques s’efface devant le soutien à un parti ou à des politiques publiques. On le voit avec Trump aux États Unis à qui les électeurs républicains pardonnent ses attaques à la démocratie américaine car ce serait moins grave que de voir les Démocrates rester à la Maison blanche.

Le tableau que je viens de dresser peut inquiéter. Il montre que les extrémismes représentent bien, en 2024, une menace réelle. Et cette menace va bien au-delà de ces manifestations visibles que sont les succès des partis d’extrême droite. Les idées et visions de l’extrême droite se diffusent à bas bruit bien plus largement que le vote d’extrême droite ne le donne à voir.

Mais ce constat ne doit pas mener à se résigner et à faire le gros dos. Il est un appel à agir. Je n’ai pas le temps de détailler toutes les pistes de lutte contre les extrémismes. J’en pointerais rapidement juste trois dont l’efficacité a été démontrée par divers travaux en science politique.

La première est de suivre l’exemple récent de l’Allemagne. Des centaines de milliers d’Allemands viennent de se mobiliser contre l’AfD et le parti a immédiatement chuté dans sondages et aux élections locales. Une étude récente menée à l’ULB a pu démontrer l’efficacité des manifestations de masse pour faire reculer électoralement l’extrême droite, mais aussi pour faire reculer l’envie des autres partis de copier ses idées. Le temps est donc à la mobilisation.

La deuxième piste de solution est d’agir massivement sur l’éducation des jeunes, à la fois sur les connaissances sur la démocratie et les dangers de l’extrême droite, mais aussi en les faisant pratiquer la décision démocratique. De nombreux travaux ont montré que pratiquer la démocratie à l’école permet d’améliorer la tolérance politique, en plus de favoriser la participation citoyenne tout au long de la vie. Or, mettre l’accent sur la jeunesse est crucial car, dans toutes les études sur l’adhésion aux idées d’extrême droite et sur le vote pour l’extrême droite, il apparait que les 18-25 ans, et en particulier les jeunes hommes entre 18 et 25 ans, sont deux fois plus nombreux à être séduits par l’extrême droite que le reste de la population.

Enfin, la troisième piste de solution est la lutte contre les stéréotypes à propos des groupes et citoyens que je considère comme étant mes adversaires politiques. La polarisation et l’animosité s’appuient sur la perception que l’autre est fondamentalement différents de moi, dans ses opinions, ses valeurs mais aussi sa vie quotidienne. Or, cette perception de différence est largement exagérée. Différentes études ont ainsi montré qu’une meilleure connaissance de l’autre, de celui que je juge être mon adversaire, de qui il est, de ce qu’il pense, de comment il vit, a un effet immédiat et fort sur l’animosité et la polarisation, deux éléments qui constituent le terreau fertile des extrémismes. Il est donc crucial de favoriser la mixité et le contact avec les autres citoyens, et cela par des actions et des politiques fortes de diversité sociale dans les écoles, dans l’aménagement du territoire et dans les lieux de vie et de loisir.

Ces pistes de solution en sont trois parmi de nombreuses autres, mais elles donnent une voie à suivre si l’on veut garder allumée la flamme de la lutte contre les extrémismes que François Bovesse a alimentée au prix de sa vie.

Jean-Benoit Pilet

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